C’est une entité complexe. Laborex ou CFAO HealthCare ? Elle est dirigée par Lisse Dossot. Un ancien registre des entreprises du Congo et un profil LinkedIn identifient plutôt NDOYE MOUSTAPHA comme directeur général et Didier TSOMAMBET comme directeur général délégué de Laborex Congo.
Le site Internet de Laborex permet d’y voir un peu plus clair. Créée en 1985, Laborex collabore avec le groupe Eurapharma qui est le pôle santé du groupe CFAO et a comme actionnaire minoritaire plus de 150 pharmaciens congolais. Qui sont ses 150 pharmaciens ? À qui appartient Eurapharma ?

Le directeur de Laborex apparaît en 1957 dans le journal officiel congolais comme expert en douane pour les matières propres à la pharmacie au côté du directeur de la CFAO. Il est encore confirmé dans ce rôle en 1958 et en 1959 au côté de M. Mavré, pharmacien à Brazzaville.
Les établissements Laborex ne peuvent donc pas avoir été créés en 1985 et avoir, en 1958 et 1959, assuré le rôle d’expert douanier pour le compte de la République du Congo au sein de l’Union française. Cette omission sur le site de Laborex vise peut-être à cacher un passé colonial du répartiteur pharmaceutique.
C’est à ce niveau que le maillage se complexifie. Eurapharma, leader de la vente de médicaments en Afrique avec 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2022, héritière des établissements Laborex de l’Afrique équatoriale et occidentale française, a pour siège social la même adresse, 8 av. Paul Delorme, 76120 Le Grand-Quevilly, France, que CFAO Healthcare et une cascade de sociétés impliquées notamment dans la distribution de médicaments vers l’outre-mer français.
Jean-Marc Leccia, le président d’Europharma et président-directeur général de CFAO Healthcare, est aussi le bénéficiaire d’une structure, EURAPHARMA CONSULTING SERVICES, avec un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros. Jean-Marc Leccia est affilié à la fondation IFPW et directeur régional pour l’Europe de l’International Federation of Pharmaceutical Wholesalers, Inc aux États-Unis. La Fondation IFPW est fière de soutenir l’Alliance Fight the Fakes, une initiative lancée et présidée avec la Fondation Brazzaville de Jean-Yves Ollivier, conseiller et marchand d’armes du président Sassou Nguesso.

Jean-Marc Leccia commence sa carrière professionnelle chez les laboratoires Baxter en charge de l’export sur la zone Afrique-Maghreb, puis il rejoint Eurapharma en 1991 en charge des activités de promotion.
Dans une annonce légale publiée dans la Semaine africaine du 23 septembre 2023, il est mentionné que Laborex Congo est une société anonyme de droit congolais, avec un conseil d’administration et un capital de 1 076 740 000 FCFA, soit 1 642 180 euros. Les sociétés SORAPHARMA, SECA (Société européenne de coopération et d’assistance), FORAPHARMA, sont des membres du conseil d’administration de Laborex Congo et toutes des émanations de CFAO Healthcare. Jean-Marc Leccia est donc de facto le président du conseil d’administration de Laborex Congo.
En 2023, les sociétés SORAPHARMA, SECA et FORAPHARMA affichent respectivement un chiffre d’affaires de 222 millions d’euros, 0 euro et 0 euro.
Les entreprises SECA et FORAPHARMA apparaissent comme des coquilles vides avec pour chacune zéro salarié et un chiffre d’affaires nul.
En revanche, la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE, à la même adresse que CFAO Healthcare, avec pour bénéficiaires et actionnaires Jean-Marc Leccia et Alex Puech, affiche un chiffre d’affaires de 602 millions d’euros en 2023. La société EPDis France, aussi à la même adresse que CFAO Healthcare, présidée et dirigée par Jean-Marc Leccia, affiche un chiffre d’affaires de 369 millions d’euros.
Tout porte à conclure que Monsieur Jean-Marc Leccia est l’héritier du monopole colonial des établissements Laborex dans l’espace francophone africain. Il est, avec SORAPHARMA et CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE et EPDis France, le principal bénéficiaire du marché du médicament en Afrique. Il semblerait que derrière l’un des porteurs de Leccia International Inc, une entité aux BVI représentée par l’Union privée bancaire du Luxembourg, se cacherait Jean-Marc Leccia, mais nous n’avons pas pu le confirmer. Toutefois, l’union privée bancaire du Luxembourg a représenté aussi BAXTER TRADING LTD., entité aux BVI du premier employeur de Jean-Marc Leccia.
Les laboratoires BAXTER ont été accusés et condamnés en France pour avoir sciemment écoulé principalement entre 1978 et 1985 des produits sanguins contaminés au virus du sida, alors que des procédés pour décontaminer ces produits existaient. En prenant en compte l’interpénétration encore plus forte à l’époque entre la distribution pharmaceutique en France et en Afrique francophone, il n’y a aucune raison de croire que cette distribution de produits sanguins contaminés se soit limitée à l’Hexagone. À partir de 1988 en Afrique, le succès professionnel de Jean-Marc Leccia coïncide aussi avec la flambée de la pandémie du VIH en Afrique francophone. Le 24 avril 2024, le journal anglais Le Telegraph a rapporté dans un article intitulé «Doctors ‘bribed to use infected blood products’» que Baxter, au Royaume-Uni, soudoyait des médecins pour qu’ils utilisent du sang infecté, entraînant l’infection par le VIH et l’hépatite C de certains patients. Ces produits sanguins sont également utilisés pour traiter les symptômes de la drépanocytose, une maladie génétique qui touche principalement les populations noires.
En octobre 1985, la France interdit de distribuer des produits non chauffés pour les hémophiles, afin d’éviter toute contamination. Mais l’Institut Mérieux, nationalisé en 1981, donc établissement public français, se déploie à l’étranger, si bien qu’en février 1986, le laboratoire continue de vendre ses produits dans d’autres pays.

En 1989, le Congo, bastion de Laborex, était le pays d’Afrique le plus affecté par le VIH avec 62,5 cas pour 100 000 habitants ; un scandale du sang contaminé occulté ?
En l’état de nos recherches, Laborex Congo créée en 1985 aurait servi à l’écoulement des excédents de sang non chauffé et potentiellement contaminés venant de France et notamment du laboratoire Mérieux. Cette hypothèse d’une exportation vers l’Afrique est soutenue par Anne-Marie Casteret dans son livre L’affaire du sang, où elle rapporte le témoignage de d’anciens collaborateurs de la vente de stocks de sang non chauffé vers l’Afrique et la Grèce par les laboratoires Mérieux.
L’institut Mérieux « avait connaissance, dès le mois d’avril 1985 au plus tard, des risques élevés de contamination inhérents à l’absence de chauffage du produit ».
Alain Mérieux apparaît comme un soutien régulier du président Sassou Nguesso, par exemple lorsqu’en 2016, en pleine crise post-électorale, il se rend à Brazzaville pour inaugurer le Centre de recherche sur les maladies infectieuses Christophe Mérieux.
En 1989, le Congo, bastion de Laborex, était le pays d’Afrique le plus affecté par le VIH avec 62,5 cas pour 100 000 habitants ; un scandale du sang contaminé occulté ?
Une des entrées du sida en République du Congo semble bien être la France via les exportations des laboratoires Mérieux distribués par Laborex Congo, comme le confirme un article du Parisien de novembre 2002 :

«En 1985, alors que les responsables de la transfusion sanguine venaient de mettre fin à la distribution en France des produits sanguins non chauffés, donc potentiellement contaminés par le virus du sida, l’Institut Mérieux a continué à exporter ses lots à risques dans des dizaines de pays pauvres. Botswana, Guinée, Arabie saoudite, Congo… Des centaines d’hémophiles de ces pays ont reçu des flacons non chauffés et non testés.» – Fleury, E. (2002, November 4). Le scandale du sang contaminé rebondit à l’étranger. Le Parisien.
En 1985, Denis Sassou Nguesso est alors président de la République depuis 1979 et le ministre de la Santé est le professeur Christophe Bouramoue, un ancien de l’université de Montpellier.
